La société Monotype Imaging Inc. commercialise en avril 2019 une version moderne de la célèbre Helvetica®. Elle est déclinée en 48 variations de graisses et de chasses. Je l’attends depuis plus de 10 ans, la voilà !
Avec l’ampleur que prend le web, il était impossible de se lancer dans l’aventure sans une Helvetica®. capable de s’adapter aux contraintes de l’écran. Je cours donc l’acquérir sur myfonts afin de pouvoir la proposer à mes clients, cela mérite bien un petit article.
Je voulais faire un petit topo rapide sur l’histoire d’Helvetica®. et ses évolutions et me voilà alors lancée dans une tâche assez périlleuse. Pourquoi ? Parce que les dates et les noms des concepteurs changent d’une source à l’autre et ne sont pas toujours logiques… J’ai donc croisé et recroisé mes sources. En voici le résultat :
Qui est donc cette Helvetica® ?
« American Apparel utilise Helvetica et semble effronté. American Airlines l’utilise et semble sobre. Et ce n’est pas seulement une question de taille de caractères, d’espacements et de couleurs, quelque chose dans cette police vous invite à de libres interprétations. »
Jonathan Hœfler dans le film Helvetica (2007).
C’est la police de caractère sans sous-entendu, sans message inconscient et c’est aussi l’une des plus lisibles au monde. On pourrait lui décerner la palme d’or de l’écologie cognitive d’après graphéine.com.
Depuis plus de 60 ans, elle est partout : Post-It, Jeep, Evian, BMW, American Airlines, Kawasaki, Skype ou encore Nestlé. On la retrouve dans le métro de Chicago, de Madrid ou encore celui de New York. Toutefois au milieu de toutes ces identités férocent, la calme et discrète Helvetica® sait se faire entendre.
Revenons aux origines : la Suisse
Helvetica® est une police de caractères linéale sans empattement créée en 1957 par le duo Eduard Hoffman et Max Miedinger, pour la plus ancienne fonderie au monde, la fonderie typographique suisse Haas, située à Bâle. Cette police est la plus importante création de Haas et elle la nomme d’abord Neue Haas Grotesk.
C’est au départ, une fine déclinaison de l’Akzidenz-Grotesk d’Hermann Berthold (1896) – première police sans empattements – et elle est conçue pour en corriger les défauts. Les objectifs fixés sont de créer une version moderne d’Akzidenz avec une harmonie optique parfaite, une lisibilité sans faille et une neutralité donnant priorité au sens du contenu.
Font Bureau retrace de façon très précise la naissance de la Neue Haas Grotesk et les compromis effectués au fil des ans qui font aujoud’hui de Helvetica ce qu’elle est aujourd’hui. Voici un lien vers la page dédiée ici.
La Mergenthaler Linotype Company et la linotype
La fonderie allemande Stempel prend le contrôle de la société Haas qui est à son tour rapidement contrôlée par Mergenthaler Linotype Company, une société américaine commercialisant la Linotype. C’est une machine de composition typographique au plomb, elle combine machine à écrire et microfonderie. C’est d’abord le directeur marketing de Stempel qui a l’idée de donner un meilleur nom à Neue Haas Grotesk. Elle est commercialisée dès 1960 sous le nom Helvetica® – une adaptation de Helvetia, nom latin de la Suisse. Puis Arthur Ritzel de Stempel redessine Neue Haas Grotesk en une famille plus nombreuse.
Pendant ce temps, en 1959, Mike Parker, typographe américain, entre à la Mergenthaler Linotype Compagny. D’abord assistant de Jackson Burke puis directeur de création et directeur du développement typographique, il est chargé d’enrichir la collection de polices disponibles pour la linotype. Admiratif de la nouvelle typographie suisse dont il disait « vous dessinez les contours et vous laissez le noir tomber où il veut », il choisit Helvetica®. Parker et son équipe retravaillent les dessins d’origine et les adaptent à la linotype. La police est simplifiée et rationalisée, elle est aussi enrichie d’Helvetica® Condensed en 1963. Les séries Helvetica® Compressed et Extra Compressed sont conçues par Matthew Carter chez Mergenthaler Linotype en 1966. Les Ultra Compressed sont conçus par Hans-Jürg Hunziker sous la supervision de Carter et sorties en 1968.
Helvetica prend son envol
Aux environs de 1965, la société américaine Amsterdam Continental, qui importe et vend des polices typographiques, commence à se concentrer sur Helvetica® qui compte maintenant 16 fontes. Elle est alors rapidement disponible pour les systèmes de photocomposition, ainsi que les transferts secs de Letraset et les lettres en plastique.
« Au début des années 1970, Helvetica n’était pas une police de caractères, mais un mode de vie ».
Michael Vanderbyl, graphiste américain
Dès lors, l’usage d’Helvetica® croît de façon exponentielle tant et si bien que la police devient rapidement incontournable. Elle deviendra le symbole de la conformité et de l’uniformité. Puis la contre-culture des années 1970 dénoncera ce symbole, divisant ainsi l’usage de la police auprès des graphistes.
Une étude réalisée au début des années 1980 révéla que Helvetica® est la police la plus utilisée en France. Les objectifs sont donc largement atteints, elle est une des plus élégantes et des plus abouties au monde et sans doute la plus populaire.
Sa digne descendante : Helvetica® Neue
En 1983, Helvetica® Neue est développée chez Stempel, la filiale de Linotype, et dessinée par Wolfgang Schimpf et son assistant Reinhard Haus. La version Helvetica® Neue est un remaniement de la police de caractères avec un ensemble de hauteurs et de largeurs structurellement unifiées. Parmi les autres changements, on peut citer une lisibilité améliorée, des signes de ponctuation plus lourds et un espacement accru des chiffres. Cependant, elle est conçue pour la période pré-Internet avec des écrans à faible résolution, elle est moins anguleuse et mieux adaptée aux usages numériques de l’époque.
Déjà à ce moment là, le concepteur Christian Schwartz exprime sa déception devant cette sortie numérique d’Helvetica® : « Helvetica numérique a toujours été une solution unique pour tous, ce qui conduit à de regrettés compromis… l’espacement a finalement été beaucoup moins serré que l’original merveilleusement serré de Miedinger pour les tailles d’écran, mais beaucoup trop serré pour une lecture confortable aux tailles de texte. »
Helvetica® Neue utilise un système de classification de conception numérique. La famille de polices est composée de 51 polices comprenant 9 graisses en 3 largeurs, ainsi qu’une police vectorielle. Helvetica® Neue existe également en variantes pour les textes en cyrillique et en Europe centrale.
Un monument typographique
Le 25 octobre 2002, l’auteur Lars Müller publie Helvetica : Homage to a Typeface. Lorsque j’étais étudiante, ce livre est rapidement devenu un classique pour n’importe quel graphiste.Puis, devant son succès, Lars Müller publia la suite logique, Helvetica Forever : Story of a Typeface, en 2009. Il retrace l’histoire de la police, j’en aurai bien eu besoin ici… Mais il est en rupture sur le site de l’éditeur et on peut le trouver sur Amazon en ce moment à 500 $. Cette Helvetica®, quel succès !
Ensuite, le réalisateur Gary Hustwit – commissaire de l’exposition sur cette même police – produit un film documentaire sur Helvetica®. Il sort en 2007 pour coïncider avec le 50e anniversaire de la police de caractères. Le designer graphique Wim Crouwel y explique que « la police de caractères Helvetica a été une réelle avancée dans la typographie du xxe siècle […]. Helvetica est une police neutre, car elle devait l’être. Elle ne devait pas avoir un sens à soi. Le sens est dans le contenu du texte et non pas dans les caractères ». Voici quelques liens utiles : le trailer, les 5 premières minutes et les dialogues en français.
Font Bureau commercialise en 2010 Neue Haas Grotesk d’après les numérisations des dessins originaux d’Helvetica® de Christian Schwartz. Contrairement aux numérisations précédentes, Schwartz crée deux tailles optiques différentes – texte et affichage. La version inclut un certain nombre de fonctionnalités : ponctuation séparée pour les majuscules et les minuscules, cédilles et chiffres de hauteur réduite pour le texte.
En 2011, Monotype Imaging publie discrètement Neue Helvetica® eText. Il s’agit d’une version de Helvetica® Neue optimisée pour une utilisation à l’écran. Les modifications apportées incluent un espacement plus ouvert, la taille des majuscules est réduite, de sorte que les caractères ascendants minuscules les dépassent. La famille comprend huit polices de caractères.
L’épopée continue avec Neue Helvetica World®, elle est publiée en 2017 et elle est dessinée par John Hudson. Sur le site de Linotype, on lit « le design d’entreprise sur le marché mondial requiert une identité typographique universelle », rien que ça ! On y trouve l’alphabet latin étendu, le cyrillique et le grec, l’arabe, l’hébreu, le thaï, l’arménien, le géorgien et le vietnamien. Elle prend en charge 181 langues au total.
And Now !
La nouvelle version signée Monotype s’appelle Helvetica® Now et elle est commercialisée en avril 2019. Charles Nix, le directeur des caractères de la société, déclare : « Les versions plus anciennes de la police manquaient dans certains domaines importants. Helvetica Now résout les problèmes de lisibilité et de style auxquels les marques utilisant Helvetica sont confrontées de manière consciente et inconsciemment depuis des années. » Il la décrit comme une « d’abord une police pour l’écran ».
La police Helvetica® d’origine n’avait pas une lisibilité optimale sur nos écrans modernes et elle a été laissée de côté par les webdesigners. Les concepteurs graphiques numériques vont enfin pouvoir lui rendre ses lettres de noblesse.
Depuis 2014, Monotype a redessiné chacun des 40 000 caractères d’Helvetica® et la nouvelle famille est constituée de 48 polices et de trois tailles optiques : Display, Text et Micro. Le premier correspond au titre et grand texte, le second à l’affichage du texte courant et le dernier est dédié aux petites écritures type mentions légales. La police mise à jour comprend aussi des caractères supplémentaires plus ronds et des outils typographiques.
L’arrivée de la nouvelle Helvetica® Now n’a donc rien de surprenant et c’est même pour les fans d’Helvetica® une avancée typographique pour le monde du numérique. Elle est actuellement proposée à 299 € pour l’ensemble de ses déclinaisons, ou à 35 € la variante.
Peut-on attendre d’autres évolutions ? Charles Nix répond à cette question en évoquant la prochaine étape de ce projet, les variations de l’Helvetica® dans l’axe de la largeur : Helvetica® Condensed et Helvetica® Expanded. Donc une nouvelle Helvetica® encore en développement ! Voici la vidéo de présentation de Monotype pour son lancement :
La page officielle de l’Helvetica Now ici. L’interview de Charles Nix, le directeur des caractères de Monotype ici. Et d’autres sources intéressantes sur cette page dédiée à Helvetica.
Utiliser les nouvelles variantes
Sur des logiciels de mise en page comme Indesign, il faut sélectionner dans la palette des caractères les fonctionnalités OpenType et plus précisément les jeux stylistiques qui sont au nombre de 10. On peut en sélectionner 1 ou plusieurs à la fois.
Pour un usage web, il faut travailler en CSS en utilisant font-variant-alternates ou font-feature-settings. Pour en savoir plus sur ces fonctionnalités, le site internet Sparanoid en parle avec précision ici.
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